Covid-19 et bail commercial

Force majeure, obligation de délivrance, exception d’inexécution, imprévision…

Pistes de réflexion

 

 COVID-19 – Le constat

En cette période de crise sanitaire sans précédent chacun s’inquiète de l’état de sa trésorerie et des décisions vont devoir être prises afin de prioriser les paiements nécessaires, ceux qui seront reportés et ceux qui seront stoppés.

La question du paiement du loyer des locaux pris à bail se trouve au cœur de cette réflexion.

Le sujet n’est bien évidemment pas de mettre à mal le bailleur qui ne manquera certainement pas de rappeler qu’il n’est pas l’associé de son locataire. Encore moins certains bailleurs particuliers qui ne disposent pas des mêmes moyens que les sociétés foncières, et dont le paiement des loyers est parfois le seul revenu.

Toutefois, face à une situation de crise comme celle-ci, celui-ci devra certainement avoir sa part d’implication : mieux vaut aider son locataire par des mesures adaptées que de le voir mettre la clé sous la porte d’ici un ou deux mois.

Plusieurs situations existent à l’heure de l’écriture de cet article.

Afin de ralentir la propagation du virus covid-19, aux termes de l’arrêté du 15 mars 2020 modifiant l’arrêté du 14 mars 2020, la liste des établissements ne pouvant plus accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020 a été énoncée, ainsi que les exceptions.

Mais au-delà des activités pour lesquelles une fermeture a été prononcée, tous les secteurs d’activité sont touchés, et la question du paiement du loyer se pose donc pour tous.

Après avoir annoncé lundi 16 mars dernier qu’il n’y aurait « rien à débourser ni pour les impôts ni pour les cotisations fiscales » Emmanuel Macron a évoqué la « suspension des factures d’eau, de gaz ou d’électricité ainsi que les loyers » pour les PME.

Nombreux sont ceux qui, ces derniers temps, soutiennent que la force majeure serait l’argument à utiliser pour justifier la non-exécution des contrats, sans pénalité.

Cette position a été renforcée par l’annonce du ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, qui a également indiqué que l’épidémie de coronavirus devait être considérée comme « un cas de force majeure pour les entreprises, salariés et employeurs », limitant pour l’heure cette qualification aux « marchés publics de l’État ».

Mais, une fois la qualification donnée à cet évènement, quelle conséquence en tire-t-on ?

Ainsi, la question de savoir si le COVID-19 peut être considéré comme un cas de force majeure justifiant l’inexécution de toutes les obligations contractuelles de droit privé reste entière.

Et si tel n’est pas le cas, quel fondement juridique pourrait être à même de répondre à la situation ?

 

COVID-19 : un cas de force majeure ?

Conformément aux dispositions de l’article 1728 du code civil, le preneur est tenu à l’obligation de payer le prix aux termes convenus.

Aux termes de l’article 1218 du Code civil :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités pas des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».

L’article 1218 a repris, lors de la réforme du droit des obligations, les critères jurisprudentiels antérieurs d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, délaissant le critère d’extériorité que la Cour de cassation avait également écarté précédemment de son appréciation (Ass. Plénière 14 avril 2006 n°02-11.168).

L’imprévisibilité doit s’apprécier au jour de la conclusion du contrat. Si l’événement était prévisible au moment de la formation du contrat, le débiteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation.

L’événement doit également être irrésistible, tant dans sa survenance (inévitable) que dans ses effets (insurmontables).

La jurisprudence existante a régulièrement refusé la qualification de force majeure pour les épidémies : grippe H1N1 en 2009 (CA Besançon, 8 janv. 2014, n°12/0229), la dengue (CA Nancy, 22 novembre 2010, n° 09/00003.)

Toutefois, aux termes de ces précédents judiciaires, les juges ont considéré soit que les maladies étaient connues, de même que leurs risques de diffusion et effets sur la santé, soit qu’elles n’étaient pas (assez) mortelles et ont donc écarté qu’elles puissent être invoquées pour refuser d’exécuter un contrat.

Cela étant, pour le COVID-19, la situation semble bien différente : il n’existe ni vaccin ni médicament contre le coronavirus et la prise en charge consiste à traiter les symptômes.

Retenir le COVID-19 comme un cas de force majeure, y compris pour les contrats de droit privé, ne semble pas une aberration.

Attention toutefois à vérifier les termes du contrat qui peuvent écarter la suspension du contrat ou son inexécution pour cas de force majeure.

 

Les conséquences de la qualification du COVID-19 en cas de force majeure

Un arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2014 a eu l’occasion de préciser que le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s‘exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure, confirmant ainsi l’arrêt de la Cour d’appel qui n’avait retenu la force majeure que pour exonérer le débiteur des dommages et intérêts. (Cass. com. 16 septembre 2014 n°13-20.306).

Ainsi, lorsque l’impossibilité n’est que momentanée, l’évènement ne constitue pas en principe un cas de force majeure exonérant définitivement le débiteur.

L’obligation est « suspendue » mais non supprimée.

C’est également le sens de l’annonce du Président MACRON et le sens du projet de loi d’urgence face à l’épidémie de COVID-19 présenté le 18 mars 2020 par le premier ministre qui envisage des mesures de report ou d’étalements des loyers.

Hélas, pour une société qui ne peut avoir aucune activité dans les lieux loués à bail, un report du montant du loyer ou son étalement ne sont pas être des mesures satisfaisantes.

 

COVID-19 et obligation de délivrance et exception d’inexécution

Cette situation ne vise que l’hypothèse d’une activité dont l’ouverture au public est interdite suivant arrêté.

Aux termes de l’article 1719 du Code civil :

« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée ;

2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;

3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;

4° D’assurer également la permanence et la qualité des plantations. »

Par ailleurs, aux termes de l’article 1220 du Code civil :

« Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. » 

Ainsi, à défaut d’exécution de l’obligation de délivrance par le bailleur, le locataire a le choix entre l’exécution forcée (à condition qu’il n’y ait pas d’impossibilité matérielle ou légale), la résiliation du contrat laquelle s’accompagne généralement d’une indemnisation du locataire par le bailleur, ou l’exception d’inexécution.

Le bailleur ne pouvant mettre à disposition du locataire les lieux loués aux termes du contrat de bail, celui-ci pourrait soulever ce fondement pour s’exonérer totalement du paiement du loyer durant la période de confinement.

Cette suspension du contrat devant « être notifiée dans les meilleurs délais ». Le locataire devra ainsi notifier au bailleur qu’il ne paiera pas les loyers pendant la période d’interdiction d’activité.

A notre connaissance, il n’existe aucun précédent judiciaire en matière de non-paiement de loyer pour cause d’épidémies et d’arrêté imposant l’arrêt de l’activité.

 

COVID-19 et imprévision

Aux termes de l’article 1195 applicable aux contrats conclus à partir du 1er octobre 2016 :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. » 

La loi prévoit désormais l’hypothèse où les parties n’ont pas prévu que le contexte de conclusion du contrat changerait à un point tel que le contrat s’en trouverait déséquilibré.

Le point de départ habituel de la théorie est que, si ce changement avait été prévu, les parties en auraient tenu compte dans leur contrat, notamment en insérant des clauses de révision ou de variation du prix.

L’imprévisibilité apparaît dès lors comme une condition commune à l’imprévision et à la force majeure qui ne diffèrent que par leur incidence sur l’exécution du contrat.

Bien que l’article 1195 indique que la partie lésée par le changement de circonstances « peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant », il apparait que la tentative de solution renégociation amiable est un préalable obligatoire avant de solliciter, en cas de refus ou d’échec, une révision judiciaire du contrat.

Les magistrats semblent là encore apprécier de manière stricte les critères à prendre en considération pour retenir le caractère d’imprévisibilité.

En outre, il est à noter un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 12 décembre 2019 qui énonce que :

« Dès lors que le statut des baux commerciaux prévoit de nombreuses dispositions spéciales relatives à la révision du contrat de bail (révision triennale, clause d’indexation), il n’y a pas lieu de faire application des dispositions générales de l’article 1195 précité, ces dernières devant être écartées au profit des règles spéciales du statut des baux commerciaux, de sorte que c’est à bon droit que le premier juge a débouté la société R. de sa demande de révision fondée sur les dispositions générales du code civil. Le jugement sera confirmé de ce chef. » (n°18/07183).

Il s’agissait toutefois au cas d’espèce de statuer sur les conditions de fixation du montant du loyer révisé et non sur la fixation d’un nouveau loyer en cours de bail.

Ainsi, il serait approprié pour les locataires, et afin de préserver leur droit, d’écrire à leur bailleur afin de tenter de trouver amiablement une solution quant au montant du loyer d’une part et à ses conditions de paiement durant la période de confinement d’autre part.

Les solutions amiables seront certainement à apprécier eu égard à la période de confinement.

Mais là encore, l’article 1195 du Code civil n’étant pas d’ordre public, plusieurs baux stipulent une dérogation expresse à la faculté de mise en jeu de cet article.

 

En conclusion

La suspension du paiement du loyer jusque la fin du confinement parait être la décision la plus sage pour sauvegarder la trésorerie de sa société.

Toutefois, et dans le même temps, des discussions doivent nécessairement s’engager avec le bailleur pour trouver une solution amiable à cette situation : baisse de loyer, report des échéances dans tous les secteurs d’activité, échelonnement de la dette sans pénalité….

Naturellement, si des accords amiables vont naître de ces situations, il parait évident que certains préféreront toujours tenter leur chance auprès des Tribunaux.

Rappelons que l’activité judiciaire est très fortement réduite, seules les situations d’urgence étant gérées par les Tribunaux. L’absence de paiement de loyers ne faisant pas partie des situations prioritaires, un contentieux amènerait à n’obtenir de décision de justice avant très longtemps….

 

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